Le 1er février 2025, l’Alliance des États du Sahel a fait savoir qu’elle comptait lancer une compagnie aérienne commune. Entre les divisions internes, l’instabilité politique et les incertitudes financières, ce projet semble condamné d’avance.
L’AES ambitionne de mettre en place sa propre compagnie aérienne, avec l’objectif affiché de renforcer l’intégration régionale et de contourner les restrictions imposées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Pourtant, le Niger a récemment annoncé la création de sa propre compagnie nationale, ce qui met déjà en doute l’unité du projet. Si le pays adhère pleinement à l’AES, pourquoi alors développer une initiative concurrente ?
Chaque État membre de l’Alliance semble avant tout préoccupé par le développement de sa propre compagnie aérienne. Le Niger, par exemple, a choisi de lancer son projet national. Ce projet « s’inscrit dans une stratégie globale de désenclavement, visant à renforcer les corridors reliant le Niger à ses voisins, mais aussi à faciliter le transport à l’intérieur du pays » a annoncé le ministre nigérien des Transports et de l’Équipement. De son côté, le Mali a tenté à plusieurs reprises de relancer Air Mali, sans succès. Quant au Burkina Faso, il envisage une restructuration d’Air Burkina. Ces démarches individuelles montrent bien que les États de l’AES privilégient leurs propres intérêts économiques et qu’ils ne sont pas encore disposés à unir leurs efforts pour un projet commun.
Le manque d’infrastructures adaptées constitue un frein majeur. De nombreux de leurs aéroports ne répondent pas aux normes internationales et l’entretien des appareils pose problème. Sans accords aériens solides, cette compagnie risque très certainement de ne jamais décoller. Plusieurs expériences similaires dans la région se sont soldées par des échecs, faute de rentabilité. Les difficultés rencontrées par Air Burkina et Air Mali en sont des exemples.
Un projet voué à l’impasse
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont confrontés à de sérieuses difficultés économiques et dépendent largement des revenus issus des secteurs minier et agricole. Comment ces pays peuvent-ils espérer mettre sur pied une compagnie aérienne viable dans ces conditions ?
Les compagnies africaines ont déjà du mal à rivaliser avec les grandes entreprises du secteur. Ethiopian Airlines domine le marché continental. À l’inverse, Air Afrique, qui reposait sur un modèle similaire à celui envisagé par l’AES, a fini par disparaître à cause d’erreurs stratégiques.
« L’aviation exige des investissements massifs et une gestion rigoureuse. Or, l’AES ne dispose ni des ressources nécessaires ni de l’expertise adéquate », explique un spécialiste du secteur aérien.
La mauvaise gouvernance et la corruption restent des fléaux persistants. La transparence financière fait cruellement défaut. Par le passé, plusieurs dirigeants de compagnies aériennes régionales ont été accusés de mauvaise gestion. Pourquoi cette fois-ci serait-elle différente ?
De plus, les pays concernés sont enclavés et font face à une recrudescence de la menace terroriste. Dans un tel contexte, la création d’une compagnie aérienne ne figure pas parmi les priorités des gouvernements concernés. Le Burkina Faso et le Mali subissent une intensification des attaques djihadistes, forçant des milliers de personnes à l’exode. D’après l’ONU, « l’insécurité chronique qui sévit dans la région ne fait qu’aggraver une crise humanitaire déjà désastreuse ». Au Niger, la lutte contre Boko Haram exige des ressources considérables. Les aéroports, situés dans des zones instables, exposent les vols commerciaux à des risques accrus. Plutôt que de s’engager dans une entreprise incertaine, ces États auraient tout intérêt à se concentrer sur la stabilisation de leur territoire, tant sur le plan sécuritaire qu’économique.
Le projet suscite déjà de fortes réserves. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et l’Union européenne réclament des garanties strictes. Sans certification internationale, la compagnie ne pourra pas accéder aux principaux hubs aériens mondiaux. Pour opérer en Europe et en Asie, elle devra satisfaire à des normes de sécurité et de maintenance exigeantes. Or, plusieurs États membres de l’AES figurent sur la liste noire de l’UE en raison d’infrastructures jugées non conformes. Sans ces certifications, la compagnie devra se limiter au marché régional, un secteur difficilement rentable.
Les réactions observées sous les articles relatant l’annonce du projet montrent que l’initiative suscite une forte désapprobation. Beaucoup perçoivent cette ambition comme irréaliste et mal préparée. De nombreux internautes soulignent l’absence de vision stratégique et rappellent les échecs des compagnies aériennes précédentes dans la région. L’opinion publique, visiblement sceptique, ne semble pas croire en la viabilité de cette entreprise, ce qui accentue encore davantage les doutes sur son avenir.
Ce projet ambitieux risque fort de se transformer en un véritable gouffre financier. L’expérience a déjà démontré que, sans une gestion rigoureuse et des investissements conséquents, les compagnies aériennes régionales mal administrées finissent toujours par disparaître.
Constantine
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